Les obligations souveraines tunisiennes libellées en devises et cotées sur le marché financier international ont touché le 28 septembre 2021 un niveau record de 900 points de base contre 760 points de base début septembre de l’année en cours. La nomination du cheffe du gouvernement, le lendemain, devrait soulager les investisseurs sur le marché financier international.
D’un autre côté, le taux de rémunération (taux de rendement exigé) des obligations souveraines tunisiennes sur le marché financier international (marchés secondaires) a atteint, à la veille de l’annonce de la nomination de la nouvelle cheffe du gouvernement, soit le 28 septembre 2021, un niveau de 15,66%.
Rappelons que le taux de rendement exigé sur les obligations souveraines tunisiennes (libellées en devises) était en 2020 avant le déclenchement de la pandémie du Covid-19 de 12% pour baisser en juin dernier à 7,3%. Depuis cette date, le taux reprend un trend haussier avec la dégradation du rating de la Tunisie par Fitch le 8 juillet 2021 de « B » avec perspectives négatives à « B- » avec perspectives négatives. La hausse s’est accélérée le 25 juillet 2021, culminant à 13% avant de rebaisser graduellement quelques jours après à 10% impacté par l’élan de confiance et de solidarité éprouvé par la population avec l’évènement du 25 juillet.
Mais la concordance de plusieurs facteurs défavorables a orienté de nouveau ce taux à la hausse pour se situer à 15,66% le 28 septembre 2021. Ces facteurs sont aussi bien d’ordre national qu’étranger. Au niveau local, le doute et l’incertitude politique qui s’est installé suite à l’absence de gouvernement deux mois après le 25 juillet, ont accentué les craintes des investisseurs. Au niveau mondial, la hausse des taux de rendement sur les obligations souveraines a concerné quasiment la plupart des pays, sous le fardeau de la montée des prix du pétrole et des matières de bases notamment des céréales conduisant à des anticipations inflationnistes au-dessus du seuil normatif des pays développés de 2%. Sur fonds d’anticipations de relèvements des taux directeurs des banques centrales, le rendement en vigueur sur les marchés des obligations devient peu attractif poussant les opérateurs à vendre leurs obligations et donc faisant remonter les taux.
L’enchérissement du prix du pétrole a conduit également à l’amplification de la prime de risque sur les obligations des pays importateurs de pétrole et la dégradation de leur rating.
Enfin, la hausse du prix du pétrole et donc les anticipations inflationnistes pousseront les banques centrales à mettre fin à leur intervention sous forme de Quantitative Easing et adopter au contraire une politique monétaire restrictive débouchant sur la vente des titres de la dette publique achetés antérieurement poussant les prix des obligations d’États à la baisse, et par conséquent à la hausse des taux de rendements.
Ainsi, la concordance de ces évènements a exercé une forte pression sur le prix des obligations souveraines tunisiennes. Selon les données de l’opérateur des marchés financiers Tradeweb, l’obligation tunisienne d’échéance 2024, émise par la banque centrale du pays (pour le compte du gouvernement), a côté le 28 septembre 2021 à 83,535 cents en euros.
La prime de CDS culmine à 900 points de base
Mais le fait marquant de la journée précédent la nomination du cheffe du gouvernement, est la montée du coût de couverture du risque de défaut des obligations souveraines (CDS à cinq ans) à un record historique de 900 points de base à la clôture de la journée du 28 septembre 2021.
Je rappelle que les CDS (Credit Default Swap), sont des produits dérivés souvent présentés en première approximation comme une assurance (couverture) contre le défaut de paiement.
Si par exemple le taux de rendement d’une obligation souveraine d’un pays donné est de 6% et que le taux sans risque est de 2%, l’achat d’une couverture conduit à verser, théoriquement, un spread de 4% l’an. Le CDS a pour effet de convertir une obligation de signature ou de notation moyenne ou spéculative en obligation sans risque. Dans le marché des CDS, il n’y a pas toujours égalité entre le spread de crédit et la prime de CDS sur un même actif. La « base » égale à la différence entre la « prime » et le « spread », peut être positive ou négative pour différentes raisons (Cf ci-dessous : à propos des CDS)
Plus précisément, un CDS classique est un contrat qui fournit une couverture contre le risque de défaut de l’émetteur moyennant le versement périodique au vendeur de la couverture d’une prime calculée en points de base de la valeur nominale du sous-jacent (les titres de dettes). Les modalités pratiques de calcul sont assez complexes mais elle se basent principalement sur la maturité de la dette, la probabilité de défaut, la probabilité de défaut conditionnelle à l’absence de défaut antérieurs, la probabilité de survie d’une année à l’autres, le taux de récupération, le taux sans risque etc.
Lorsque le marché se dégrade, les investisseurs liquident leurs positions. Quand ils sont vendeurs sur le cash, la taille de leurs ordres est susceptible de faire peser le doute sur la santé des sous-jacents. Dans ce cas, le risque spécifique de l’émetteur (et perçu par le marché) se gonfle, ce qui se traduit par une hausse significative du prix des CDS correspondants. Hausse qui envoie un signal pessimiste au marché cash. Celui-ci réagit alors par de nouvelles ventes de titres… et le mouvement se poursuit dans un cycle d’anticipations autoréalisatrices baissières.
Cela veut dire que les investisseurs sur le marché financier international ont exigé à la date du 28 septembre 2021 une prime de couverture contre le risque de défaut sur les obligations tunisiennes de 8,4% par an. À titre d’exemple, les obligations du gouvernement américain de maturité 5 ans offrent un taux de rendement de 1,02%, celles du Maroc offre un taux de rendement de 1,96%. Sur le marché financier international, le coût de couverture du risque, exigé par les investisseurs sur les obligations américaines (de même échéance) est de 14,1 points de base. Ce coût est 109 points de base pour le Maroc contre 92 PB début du mois. Il est de 437 PB pour l’Égypte contre 352 PB début du mois. Pour les autres pays, cete prime est de 20 points de base pour les obligations françaises, 75,4 points de base sur les obligations 5 ans de la Grèce, 73,6 pour l’Italie, 19 pour les obligations japonaise, 9 pour l’Allemagne, la Suède : 8,4 points de base, le Danemark meilleur au monde avec 7,8 PB.
Ce coût de couverture permet donc de donner une idée sur la prime de risque exigée par les investisseurs en cas de sortie de la Tunisie sur les marchés financiers internationaux pour lever des fonds contre émission d’obligations en dollars ou en Euro.
Les marchés financiers internationaux représentent 27,7% de l’encours de la dette publique extérieure à fin juillet 2021 contre 55,4% de la coopération multilatérale et 16,8% de la coopération bilatérale. L’impact de cette hausse du coût de couverture, est bien évidement, si elle a duré, serait catastrophique pour les finances publiques de la Tunisie et sur son économie d’une manière générale, dans un contexte marqué par le tarissement des ressources étrangères c’est-à-dire en devises. Je rappelle que le budget de l’État pour l’année 2021 a été élaboré sur l’espérance de lever l’équivalent de 13,015 milliards de dinars d’emprunts extérieurs dont la moitié : 6,56 milliards de dinars sur les marchés financiers internationaux et 760 millions de dinars auprès du FMI. Or, et selon le document d’exécution du budget de l’État jusqu’au mois de juillet 2021, la Tunisie n’a levé aucun dinars ni sur les marchés financiers, ni auprès du FMI, bailleur de fonds de derniers recours. La Tunisie a pu résister jusque-là en s’appuyant sur la levée de dette locale en dinars (notamment par émission de BTC) et la swapée avec des devises en pompant dans les réserves nationales en devises. Mais ce processus a ses limites et ses inconvénients. D’abord les réserves en devises sont limitées en volume et in fine, la Tunisie doit trouver des devises de nulle part ailleurs pour financer des dépenses en devises. En effet, le déficit budgétaire de l’État est composé d’une partie en dinars et d’une partie en devises. La partie en dinars est toujours gérable, même par magie, et des solutions peuvent in extrémis être trouvées (au prix cher de l’inflation et de l’effet d’éviction). Mais la partie du déficit en devises ne peut être financée qu’en devises. On ne peut pas imprimer des devises pour acheter par exemple du pétrole ou des céréales ou pour honorer le service de la dette extérieure. Face au défaut du pourvoyeur de fonds de dernier recours : le FMI, et donc tous les autres bailleurs de fonds (multilatéraux) qui vont suivre (je rappelle que la dotation reçue en DTS n’est pas un signal d’accord ou revue de programme avec le FMI mais une dotation accordée à tous les pays du monde), ou de mobilisation de fonds dans un cadre bilatéral avec un autre pays, la Tunisie sera obligée, de trouver des fonds en devises.
Si la Tunisie s’est débrouillée jusque-là pour trouver des fonds en dinars, l’étape qui va venir est beaucoup plus difficile, et sera l’occasion malheureusement, à tous les Tunisiens de se rendre compte réellement de la crise actuelle. Une éventuelle sortie sur les marchés financiers internationaux sera fortement onéreuse avec des taux exigés qui seront de l’ordre de 12% à 15% augmentés ex-post du coût de la dépréciation future annuelle du dinar de l’ordre de 5% par an durant les quelques années à venir.
À Propos des CDS
Les dérivés sur événement de crédit ou couvertures de défaillance ou en anglais Credit Default Swaps (CDS) sont des contrats de protection financière entre acheteurs et vendeurs. L’acheteur de protection verse une prime ex ante annuelle calculée sur le montant notionnel de l’actif (fréquemment dit de référence ou sous-jacent), au vendeur de protection qui promet de compenser ex post les pertes de l’actif de référence en cas d’événement de crédit précisé dans le contrat. C’est par conséquent, sur le plan des flux financiers, comme un contrat d’assurance.
Il s’agit d’une transaction non-financée : sans obligation de mettre de côté des fonds pour garantir la transaction, le vendeur de protection reçoit des primes périodiques et augmente ses avoirs sans nul investissement en capital si aucun événement de crédit n’a lieu jusqu’à maturité du contrat. Dans le cas opposé, événement plus ou moins probable mais particulièrement coûteux, il est contraint de faire un paiement contingent, par conséquent d’apporter des fonds ex post. Il s’agit par conséquent d’une exposition hors-bilan.
L’élaboration d’un contrat de CDS nécessite l’agrément des cocontractants sur plusieurs points.
L’actif de référence
Les cocontractants doivent fixer l’actif de référence pour lequel la protection est envisagée. Il peut s’agir de dettes de pays souverains, d’institutions financières, ou de toute autre entreprise qu’elle soit notée ou pas.
La valeur notionnelle, la maturité, le montant de la prime
Sont aussi fixés la valeur notionnelle de l’actif, la maturité de la transaction, généralement de 5 ans, et le montant de la prime à verser par l’acheteur de protection.
La définition des événements de crédit
L’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) a encouragé une standardisation de la définition d’un événement de crédit. Un paiement contingent de la part du vendeur de protection est déclenché quand il y a faillite, défaut de paiement, moratoire (délai de paiement) ou restructuration (prolongement de la durée de remboursement).
Le paiement contingent
Les cocontractants doivent définir de quelle manière le vendeur de protection peut effectuer le paiement contingent. Le vendeur peut souhaiter faire une compensation par espèces (cash settlement) ou par règlement physique (physical delivery). Dans le premier cas, le paiement contingent est égal à la différence entre le montant notionnel de l’actif et son prix de marché, dans le deuxième, le vendeur de protection paie le montant notionnel de l’actif et reçoit l’actif en contrepartie.
La prime et le spread
La prime du CDS dont l’actif sous-jacent est une obligation doit, en principe, être égale au spread de crédit de cette obligation afin d’éviter tout comportement d’arbitrage. Il serait sinon possible de faire un investissement sans risque à profit sûr en détenant une obligation dont le spread de crédit est supérieur à la prime de CDS du même actif que l’on verse à un vendeur de protection.
Dans le marché des CDS, il n’y a pas toujours égalité entre le spread de crédit et la prime de CDS sur un même actif. La « base » égale à la différence entre la « prime » et le « spread », peut être positive ou négative.
Lorsque la base est positive, la prime de CDS étant supérieure au spread de crédit, cela peut signifier que la demande de couverture contre du risque de crédit par les opérateurs est trop importante par rapport à l’offre de vente de protection. Le niveau des primes de CDS s’explique dans cette logique à travers l’ajustement du prix par la confrontation de l’offre et de la demande. C’est l’une des raisons pour lesquelles les primes augmentent lorsque la qualité de crédit se détériore. Les investisseurs, cherchant à se couvrir contre un risque de crédit particulier leur paraissant suspect, augmentent leur demande d’achat de protection qui ne coïncide pas avec la volonté des investisseurs de la satisfaire. La base peut être positive pour une autre raison : l’incertitude en cas d’événement de crédit sur la qualité des obligations livrées sous le régime du physical delivery peut inciter les vendeurs de protection à insister sur une prime plus élevée.
L’argument avancé pour expliquer la base négative tient au caractère non financé des CDS. Les vendeurs de protection peuvent en effet se contenter d’une moindre rémunération, car leur rôle dans un contrat de CDS ne les confronte ex ante à aucun coût. Elle est cependant beaucoup moins courante que la base positive.
Notons enfin que la prime d’un CDS est également appelée « prix du CDS », « valeur du CDS » ou encore « spread du CDS », à ne pas confondre avec le spread du crédit (aussi appelé spread obligataire).
Évaluation des CDS
Il existe deux familles de modèles permettant d’évaluer les CDS :
- L’approche structurelle, une extension du modèle Black-Scholes (1974) ;
- La forme réduite, qui simule directement la probabilité de défaut.
Le premier modèle permet de lier le marché du crédit à celui des actions. Cependant, le modèle n’est pas suffisamment flexible pour correspondre aux spreads du marché. Le second modèle est le standard utilisé sur le marché.
Une troisième catégorie, dite « hybride », s’inspirant des deux modèles précédents a été développée pour profiter des avantages de chaque modèle.